Dix ans après la mort du colonel Mouammar Kadhafi, le 20 octobre 2011, la Libye est plongée dans l’instabilité politique au terme d’une décennie de violences. Au point de susciter chez certains, malgré la nature autocratique de l’ancien régime, une nostalgie des années du Guide, rendant même envisageable la perspective de voir un jour son fils Seïf al-Islam au pouvoir.
Dans sa chute, provoquée par une révolte populaire qui s’est transformée en conflit armé international, le “Guide suprême de la révolution” a emporté une partie de sa famille, dont trois de ses fils, Moatassem, Khamis et Seïf al-Arab, tous tués au cours du conflit de 2011. Mais le plus connu de ses descendants, Seïf al-Islam, implicitement adoubé par son père pour lui succéder un jour, et considéré en Occident comme un réformateur à même de démocratiser et libéraliser le pays, est lui toujours vivant.
Capturé en novembre 2011 par un groupe armé à Zenten, au sud-ouest de Tripoli, puis condamné à mort en 2015 à l’issue d’un procès expéditif et recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour des accusations de crimes contre l’humanité, Seïf al-Islam est resté longtemps invisible, même après l’annonce de sa libération en 2017.
En juillet dernier, lorsqu’il a effectué, à 49 ans, une réapparition retentissante en accordant, depuis Zenten, un entretien à l’édition magazine du prestigieux New York Times (NYT). Alors que la Libye s’est dotée en mars d’un gouvernement provisoire chargé d’unifier les institutions d’ici le scrutin présidentiel prévu le 24 décembre, Seïf al-Islam Kadhafi a profité de cette exposition médiatique pour annoncer son retour prochain dans l’arène politique libyenne.
Ce n’est pas la première fois qu’un tel retour est annoncé, alors qu’en Libye d’aucuns estiment que la réintégration des anciens kadhafistes dans le processus politique est nécessaire pour mener à terme la réconciliation nationale. En mars 2018 déjà, comme pour tester l’opinion, le Front populaire libyen, un parti qui ne cache pas ses penchants kadhafistes, a annoncé, depuis Tunis, la candidature du fils de celui qui s’était autoproclamé “roi des rois d’Afrique”, à la prochaine élection présidentielle.
Dans l’interview du NYT, Seïf al-Islam, vêtu d’un qamis noir brodé de motifs dorés, barbe grisonnante et turban noir sur la tête, ne dit pas s’il sera candidat à la présidentielle de 2021, mais il a confié être convaincu que son mouvement peut rétablir “l’unité perdue” du pays.
Depuis cet entretien, ses ambitions politiques sont prises très au sérieux. “Il n’est pas exclu de voir un jour, dans un futur lointain, un Kadhafi arriver au pouvoir en Libye, ce n’est pas complètement inenvisageable, estime Emadeddin Badi, spécialiste de la Libye et chercheur à l’Atlantic Counsil, un cercle de réflexion américain, interrogé par France 24. En revanche, il est encore trop tôt aujourd’hui, donc il y a très peu de chances de voir, s’il est candidat, Seïf al-Islam Kadhafi s’imposer lors de la présidentielle de décembre”.
Toutefois, le clan Khadafi, surtout Seïf al-Islam, reste populaire parmi les nostalgiques et une partie des anciens officiels de la Jamahiriya libyenne, sans compter les clans restés loyaux à la famille de l’ancien dictateur et une partie de l’opinion nationale, déçue par l’instabilité chronique et la lente descente aux enfers du pays.
Un désenchantement sur lequel entend surfer le revenant des Kadhafi. “Il n’y a pas d’argent, pas de sécurité. Il n’y a plus de vie ici. Allez à la station-service : il n’y a pas d’essence. Nous exportons du pétrole et du gaz vers l’Italie. Nous éclairons la moitié de l’Italie et nous avons des pannes d’électricité ici. C’est plus qu’un échec. C’est un fiasco”, a-t-il dit au NYT.
“Ces dernières années, la cote de Seïf al-Islam Kadhafi n’a fait que progresser au sein de certaines communautés, notamment pour des raisons économiques, sécuritaires ou politiques qui suscitent beaucoup plus de nostalgie des années Kadhafi que lors des premières années qui ont suivi la chute de régime, lorsque personne ne parlait d’un retour de ce clan”, décrypte Emadeddin Badi.